
Pierre Salmon, « Demandes et réponses au roi Charles VI ». Ici, le vêtement porté par le roi est orné de l’une de ses devises, le tigre.
Considéré comme typique du « Gothique international », le goût des parures luxueuses se manifeste de façon éclatante à la cour de Charles VI. Pétri de littérature courtoise, le roi choisit pour emblème, dès 1381, le cerf-ailé qui allie la symbolique christique à la mystique royale. Au tournant des XIVe et XVe siècles, des liens étroits se tissent entre littérature courtoise et création artistique.
Les broderies des vêtements et les bijoux sont les principaux supports du déploiement des « devises » royales et princières : fleurs de genêt, licornes, tigres ou paons chez Charles VI, fleurs de mouron pour son épouse Isabeau de Bavière, rabots et niveau chez Jean sans Peur, ours pour Jean de Berry, porc-épic et bâton pour Louis D’Orléans.
Phénomène caractéristique de la vie de cour autour de 1400, ces devises ou emblèmes personnels viennent s’ajouter aux marques familiales que sont les armoiries. Étoffes, joyaux mais aussi manuscrits et vitraux déploient un riche répertoire de motifs, de formules (les « mots ») et de couleurs choisies par le roi et les princes.

« Livre d’infomation des Princes », manuscrit sur lequel apparaît ici le rabot, devise de Jean sans Peur
La vogue des bijoux ornés d’un portrait en camée se développe dans les années 1400. L’anneau d’or, orné du profil de Jean sans Peur, à l’intérieur duquel on retrouve le motif du rabot, a été réalisé en 1412 par l’orfèvre Jean Nicolas.
L’invasion de l’emblématique atteint aussi bien l’orfèvrerie de table que le décor des armes d’apparat ou destinées à la bataille. Venant remplacer les anciennes armoiries surchargées, elles désignent avec une clarté nouvelle la personne du Prince.
Il convient, pour chacun de ces emblèmes, d’en préciser la date d’apparition, la durée d’emploi mais aussi la signification symbolique et politique. Charles VI est l’un des premiers à faire de la « devise » à la fois un art et un instrument politique.
Membre de la famille royale, maître de la Flandre de l’Artois et de la Franche-Comté, Philippe le Hardi est un acteur important de la vie politique du royaume. Son fils Jean sans Peur tente de maintenir l’influence des ducs de Bourgogne sur le Pays.
L’impunité accordée à Jean sans Peur pour l’assassinat de Louis d’Orléans en 1407 favorise la prolongation des hostilités entre le duc de Bourgogne et le parti Orléanais. Après avoir fui la capitale, Jean sans Peur y fait un retour triomphal en 1408 et ordonne la construction d’un nouveau corps de bâtiment à l’hôtel d’Artois, sa principale résidence parisienne. De ce vaste bâtiment, il ne reste plus que la « Tour Jean sans Peur ». Au-dessus de la porte, le duc fit sculpter ses devises, le rabot et le niveau, marquant ainsi sa victoire sur le parti adverse.
Tout-puissant à Paris, Jean sans Peur est cependant contraint de se réconcilier avec ses rivaux, en 1412, sous l’arbitrage de Jean de Berry.
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Sources:
_ Paris 1400. Les arts sous Charles VI, catalogue d’exposition, Fayard-Réunion des musées nationaux, Paris, 2004
_ Hablot, L. La devise, un nouvel emblème pour les princes du XVe siècle, dans « La création artistique en France autour de 1400 », Taburet-Delahaye, E.,(dir), Paris, École du Louvre, 2006
_ Pastoureau Michel, Figures de l’héraldique, Découvertes Gallimard, 1996